Tout acte médical comporte une part de risque pouvant aboutir à la survenue d’effets indésirables dont n’est pas nécessairement responsable le médecin. Dès lors, il serait injuste de mettre à sa charge une obligation de résultat, laquelle l’obligerait au succès de l’acte médical réalisé.
I – Le principe : la responsabilité du médecin
La responsabilité d’un médecin ne peut être engagée que si le patient rapporte la preuve d’une faute de la part de celui-ci. En effet, sauf exception, le médecin est soumis à une obligation de moyens. Dès lors, il doit tout mettre en œuvre pour arriver à un résultat mais sa responsabilité ne saurait être engagée s’il n’obtient pas le résultat escompté de l’acte médical réalisé conformément aux règles de l’art.
II – L’alea thérapeutique
Selon l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, l’aléa thérapeutique est un « accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale non fautif directement imputables à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins et qui a pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci ».
L’aléa thérapeutique survient donc lorsque :
• un acte de prévention de diagnostic ou de soin
• réalisé conformément aux règles de l’art
• entraîne un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale
• imprévisible eu égard à l’état de santé du patient ou de son évolution prévisible
L’indemnisation de l’aléa thérapeutique avant la loi du 4 mars 2002
Avant la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, un patient pouvait obtenir une indemnisation du fait de la survenue d’un aléa thérapeutique dont il avait été victime.
Pour obtenir cette indemnisation, sa prise en charge devait avoir été faite en établissement public de santé :
''Arrêt du Conseil d’Etat - 9/04/1993
Une artériographie vertébrale avait été réalisée à l’hôpital conformément aux règles de l’art. Suite à cette intervention, le patient avait été atteint d’une tétraplégie des membres inférieurs.
Le Conseil d’Etat avait retenu la responsabilité sans faute de l’établissement public de santé et l’avait condamné à indemniser le patient du fait de la survenue de cet aléa.
Toute prise en charge en établissement de santé privé ne permettait pas au patient d’obtenir une quelconque indemnisation du fait de la survenue d’un aléa thérapeutique.
Arrêt de la Cour de cassation – 8/11/2000
Un patient avait souffert d’une hémorragie à la suite de la mise en place d’un neurostimulateur par un praticien libéral pour le traitement d’une maladie de parkinson. Son état de santé avait alors évolué vers un coma végétatif.
La Cour de cassation avait jugé que « la réparation des conséquences de l’aléa thérapeutique n’entre pas dans le champ des obligations dont le médecin est contractuellement tenu à l’égard de son patient »''
Avant la loi du 4 mars 2002, il existait donc une inégalité de traitement entre les patients soignés dans le secteur public et ceux soignés dans le secteur privé.
L’indemnisation de l’aléa thérapeutique depuis la loi du 4 mars 2002
C’est dans ce contexte d’inégalité de traitement qu’est intervenue la loi du 4 mars 2002.
Selon l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, « lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale ».
Désormais, en l’absence de faute du médecin, le patient, pris en charge tant dans le secteur public que dans le secteur privé, peut obtenir une indemnisation s’il est victime d’un aléa thérapeutique.
Toutefois, cette indemnisation est soumise à conditions.
Les conditions permettant l’indemnisation de l’aléa thérapeutique
Pour être indemnisé, l’aléa thérapeutique doit être survenu après le 4 septembre 2001 et doit avoir causé au patient un dommage d’une certaine gravité, à savoir :
Critères de gravité du dommage :
• Un déficit fonctionnel permanent (anciennement IPP : incapacité permanente partielle) supérieur à 24 %,
• ou un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à 50 %,
• ou une interruption temporaire totale de travail égale ou supérieure à 6 mois consécutifs ou non consécutifs sur une période d’un an,
• ou une inaptitude à exercer l’activité professionnelle antérieurement exercée,
• ou des troubles particulièrement graves dans les conditions de l’existence, y compris économiques.
Lorsque l’aléa thérapeutique survenu est une infection nosocomiale, le déficit fonctionnel permanent dont souffre le patient doit être supérieur à 25 %.
Dans le cas contraire, le patient ne pourra obtenir aucune indemnisation au titre de la survenue de cette infection nosocomiale non fautive.
Ces critères de temps et de gravité valent tant pour les procédures engagées par le patient devant les juridictions judiciaires ou administratives que pour la procédure de règlement amiable créée par la loi du 4 mars 2002.
III - Le mécanisme d’indemnisation amiable
Cette procédure de règlement amiable est utilisée tant pour les patients ayant été pris en charge dans le secteur public que dans le secteur privé et ayant été victime tant d’une faute que d’un aléa thérapeutique.
Le législateur a créé deux organismes assurant la procédure amiable d’indemnisation des victimes d’accidents médicaux, d’affections iatrogènes ou d’infections nosocomiales fautifs ou non.
- La Commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux, dite la CRCI,
- L’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, dit l’ONIAM.
La CRCI est une commission régionale composée d’un président qui est un ancien magistrat de l’ordre administratif ou judiciaire et de vingt membres qui sont des représentants des usagers, des professionnels de santé, des établissements de santé, des assureurs, de l’ONIAM et d’autres professionnels qualifiés.
L’ONIAM est un organisme placé sous la tutelle du Ministère de la Santé. Son rôle est de superviser le système amiable et d’indemniser les victimes d’aléa.
Les différentes étapes de la procédure amiable
La procédure d’indemnisation amiable est composée de 5 étapes :
• Saisine de la CRCI
• Expertise
• Réunion collégiale
• Avis rendu
• Offre de transaction, le cas échéant.
1 - La saisine de la CRCI
La CRCI est saisie par toute personne s’estimant victime d’un dommage imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins ou par le représentant légal de celle-ci ou encore par un ayant droit d’une personne décédée des suites d’une prise en charge médicale.
Le dossier de demande d’indemnisation doit être téléchargé sur internet et doit être rempli et renvoyé en lettre RAR à la CRCI.
Il faut y joindre les pièces médicales concernant la prise en charge contestée du patient. Le patient devra donc nécessairement demander la communication de son dossier médical soit, à l’établissement de santé soit, au praticien libéral l’ayant pris en charge.
2 - L’expertise
Il s’agit d’une réunion d’expertise médicale contradictoire qui se déroule en présence d’un Expert médical désigné par la CRCI et des avocats et/ou médecins-conseils du patient et de l’établissement de santé et/ou du praticien libéral mis en cause.
Cette expertise a pour but de savoir si le patient qui a déposé plainte a réellement été victime d’une faute médicale ou d’un aléa thérapeutique.
Pour ce faire, l’Expert examine d’une part, les pièces médicales produites par les parties pour retracer la chronologie de la prise en charge du patient et d’autre part, réalise un examen clinique de celui-ci.
Il peut alors conclure soit, à une faute soit, à un aléa thérapeutique soit, à l’absence de lien de causalité entre le dommage du patient et l’acte médical réalisé.
La dernière étape consiste à discuter des préjudices subis par le patient et de leur évaluation en terme médico-légal.
La discussion sur les préjudices est très importante car l’évaluation de leur gravité permet à la CRCI de se déclarer compétente ou non pour rendre un avis sur l’affaire dont elle est saisie.
Une fois l’expertise réalisée, l’Expert dépose un rapport d’expertise à la CRCI qui le communique aux différentes parties au procès amiable, lesquelles peuvent faire des observations écrites avant que la CRCI ne se réunisse en formation collégiale.
3 - La réunion collégiale
Une fois les observations écrites des parties déposées à la CRCI, celle-ci se réunit pour recueillir les observations orales des parties au procès amiable. Ces observations sont de très courtes durées et doivent concerner tant la question de la compétence de la CRCI pour rendre un avis sur l’affaire que la question de l’éventuelle responsabilité d’un établissement ou d’un praticien libéral.
4 –L’avis rendu par la CRCI
L’avis est rendu dans un délai de six mois à compter de la saisine de la CRCI et est communiqué aux parties ainsi qu’à l’ONIAM. L’avis rendu peut être un avis d’acceptation d’indemnisation ou un avis de refus d’indemnisation.
L’avis d’acceptation d’indemnisation
La CRCI peut rendre un avis d’acceptation d’indemnisation si les critères de gravité du dommage déterminant la compétence de la CRCI sont remplis.
Il faut également que ce dommage résulte d’un accident médical, d’une affection iatrogène ou d’une infection nosocomiale survenu à l’occasion d’un acte de prévention, de diagnostic ou de soins réalisé conformément aux règles de l’art ou en violation de celles-ci. Ce dommage doit être alors respectivement soit, un aléa soit, une faute.
L’avis de refus d’indemnisation
La CRCI peut rendre un avis de refus d’indemnisation si les critères qui fondent la compétence de la CRCI ne sont pas remplis ou si les critères de compétence de la CRCI sont remplis mais que le dommage n’est pas lié à un acte de prévention, de diagnostic ou de soin.
Lorsque la CRCI ne s’estime pas compétente pour rendre un avis sur l’affaire dont elle a été saisie, elle rend un avis d’incompétence sans se prononcer sur la question de la responsabilité du praticien libéral ou de l’établissement de santé.
Le patient pourra alors seulement soit, saisir les juridictions judiciaires ou administratives selon que sa prise en charge a été effectuée en secteur public ou privé soit, d’abandonner les poursuites.
5 –L’offre de transaction, le cas échéant
L’établissement de santé ou le praticien (en cas de faute) ou l’ONIAM (en cas d’aléa thérapeutique d’une certaine gravité) doit proposer une somme indemnitaire à la victime pour les dommages subis et ce, dans un délai de quatre mois à compter de la réception de l’avis par les parties.
Il est toutefois possible qu’une part du dommage soit la résultante d’une faute et une autre part d’un aléa thérapeutique. Dans ce cas, le praticien libéral ou l’établissement de santé fautif ainsi que l’ONIAM doivent proposer conjointement une offre transactionnelle au patient au prorata du pourcentage de faute et d’aléa.
L’acceptation de l’offre et le paiement
Si le patient accepte l’offre transactionnelle, le paiement de l’indemnité doit intervenir dans le délai d’un mois à compter de l’acceptation de l’offre. Un protocole d’accord confidentiel valant transaction est alors signé par les parties concernées. Ce paiement met un terme au litige définitivement.
Le patient ne pourra alors plus agir en justice pour les mêmes faits.
Toutefois, si son état n’est pas consolidé ou si son état s’aggrave, il pourra de nouveau saisir la CRCI pour que celle-ci diligente une nouvelle expertise visant à évaluer et à indemniser les nouveaux préjudices apparus.
Si l’assureur de la partie fautive reste silencieux ou refuse de faire une proposition d’indemnisation à la victime OU si la partie fautive n’a pas contracté d’assurance OU si l’évaluation financière des dommages du patient dépasse le montant du plafond d’assurance souscrit par la partie fautive, le patient victime pourra demander à l’ONIAM qu’il se substitue à celle-ci pour l’indemniser.
L’ONIAM pourra se retourner contre le(s) responsable(s) du dommage devant les juridictions judiciaires ou administratives, lesquelles ne pourront pas condamner les responsables à plus de 15 % de la somme indemnitaire allouée par l’ONIAM à la victime.
Le refus de la proposition transactionnelle par le patient
Le patient, qui estime que l’offre transactionnelle faite est insuffisante ou que le rapport d’expertise ne lui est pas favorable, peut saisir les juridictions judiciaires ou administratives afin qu’elles statuent sur l’affaire.
Si la prise en charge du patient a été faite dans le secteur public, alors le patient devra saisir le Tribunal administratif.
Si la prise en charge du patient a été faite dans le secteur privé, alors le patient devra saisir le Tribunal de Grande Instance.
Il arrive que le patient diligente les deux procédures (judiciaire et amiable) en parallèle l’une de l’autre.
Le patient doit nécessairement en informer la CRCI et le Tribunal afin qu’il ne bénéficie pas d’une double indemnisation.
IV – Avantages et inconvénients du mécanisme de règlement amiable
Avantages
Il s’agit d’une procédure gratuite financée par l’ONIAM qui est souple car le patient peut toujours saisir les juridictions judiciaires ou administratives s’il n’est pas satisfait de l’avis rendu par la CRCI.
C’est une procédure rapide qui ne doit pas excéder un an.
Inconvénients
Contrairement aux juridictions judiciaires et administratives, l’avis rendu par la CRCI n’a pas force obligatoire si la victime n’accepte pas la proposition d’indemnisation qui lui est faite.
Par ailleurs, la CRCI n’est pas systématiquement compétente pour rendre un avis sur l’affaire qui lui est soumise.