RESPONSABILITE DU NEUROLOGUE ET CAS DE JURISPRUDENCE
lundi 15 juillet 2024, 18:52 Droit de la santé et droit médical Lien permanent
I - LE PRINCIPE DE LA RESPONSABILITE CIVILE PROFESSIONNELLE DU MEDECIN
LE PRINCIPE : LA NECESSITE D’UNE FAUTE
La responsabilité du professionnel de santé repose sur le principe de la faute.
En effet, l'obligation de soins découlant du contrat médical qui est mise à la charge du médecin est une obligation de moyens. Le médecin n’a aucune obligation de résultat concernant la guérison.
Néanmoins, il s'engage à tout mettre en œuvre pour guérir en prodiguant des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science.
Cour de cassation, Civ., 20 mai 1936, Arrêt Mercier :
Mais attendu qu’il se forme entre le médecin et son client un véritable contrat comportant, pour le praticien, l’engagement, sinon, bien évidemment, de guérir le malade, ce qui n’a d’ailleurs jamais été allégué, du moins de lui donner des soins, non pas quelconques, ainsi que parait l’énoncer le moyen du pourvoi, mais consciencieux, attentifs et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science ; que la violation, même involontaire, de cette obligation contractuelle, est sanctionnée par une responsabilité de même nature, également contractuelle ; que l’action civile, qui réalise une telle responsabilité, ayant ainsi une source distincte du fait constitutif d’une infraction à la loi pénale et puisant son origine dans la convention préexistante, échappe à la prescription triennale de l’art. 638 du code d’instruction criminelle ;
Cette règle a été confirmée et insérée dans le code de la santé publique.
Article L1142-1 alinéa 1 :
I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.
La responsabilité civile des médecins, neurologues ou non, peut être engagée en cas de faute lorsque les praticiens sont salariés ou libéraux. Lorsque le médecin est un praticien hospitalier, alors sa responsabilité ne sera pas engagée directement en cas de faute. Il sera protégé par sa structure d’accueil, à savoir l’établissement public de santé qui assumera alors l’entière responsabilité de la faute de ce dernier.
1. La faute concernant un acte de prévention de diagnostic ou de soin
Le praticien peut engager sa responsabilité en cas de faute commise dans le cadre de la réalisation d’un acte de prévention, de diagnostic ou de soins, notamment en cas d’erreur de diagnostic par exemple.
2. La faute liée au défaut d’information
Article L1111-2 du code de la santé publique :
Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver.
Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel.
Le professionnel de santé peut engager sa responsabilité du seul fait de la violation de son obligation d’information à l’égard du patient. Plusieurs préjudices peuvent être invoqués par le patient :
- La perte de chance d’avoir pu éviter un acte
En effet, si le patient prouve qu’il n’aurait pas accepté un tel acte de soin s’il avait été avisé des risques associés, alors la responsabilité du professionnel de santé peut être engagée puisque du fait de ce défaut d’information, il a fait perdre au patient une chance de se soustraire à cet acte et au dommage consécutif.
Civ. 1ère, 22 juin 2017 n°16-21141
Qu'en statuant ainsi, alors que la perte de chance d'éviter le dommage, consécutive à la réalisation d'un risque dont le patient aurait dû être informé, constitue un préjudice distinct du préjudice moral résultant d'un défaut de préparation aux conséquences de ce risque et consiste, dès lors que son existence est retenue par les juges du fond, en une fraction des différents chefs de préjudice déterminée en mesurant la chance perdue, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
- Le préjudice moral d’impréparation
Lorsque le patient est victime de la réalisation d’un risque associé à un acte de soins, dont il n’a pas été informé par le professionnel de santé, alors il peut engager la responsabilité civile de ce dernier du seul fait de ne pas avoir pu se préparer à cette éventualité de survenue du risque qui vient de se réaliser. Il peut s’agir d’une impréparation morale et/ou économique.
Civ. 1ère, 23 janvier 2014, n°12-22.123
Mais attendu qu'indépendamment des cas dans lesquels le défaut d'information sur les risques inhérents à un acte d'investigation, de traitement ou de prévention a fait perdre au patient une chance d'éviter le dommage résultant de la réalisation de l'un de ces risques, en refusant qu'il soit pratiqué, le non-respect, par un professionnel de santé, de son devoir d'information cause à celui auquel l'information était due, lorsque ce risque se réalise, un préjudice résultant d'un défaut de préparation aux conséquences d'un tel risque, que le juge ne peut laisser sans réparation ; qu'ayant constaté, alors que Mme X... exposait, sans être contredite par M. Y..., n'avoir reçu aucune information sur l'intérêt de la vaccination ou sur ses risques, que les experts, comme la quasi-unanimité des scientifiques, écartaient tout lien de causalité entre le vaccin contre l'hépatite B et l'apparition de la SLA, qui n'est pas une maladie auto-immune mais une dégénérescence des motoneurones, et que ni la notice du GenHevac B ni le dictionnaire médical Vidal ne mettaient en garde contre une éventualité d'apparition d'une SLA après une vaccination par GenHevac B, la cour d'appel en a exactement déduit que la demande de Mme X... ne pouvait être accueillie ; que le moyen, inopérant en sa seconde branche, n'est pas fondé en sa première ;
Le cumul entre le préjudice de perte de chance et le préjudice moral d’impréparation est parfaitement possible.
Aussi, le patient pourra obtenir le cas échéant une double indemnisation pour préjudice moral du seul fait du défaut d’information par le professionnel de santé.
LES EXCEPTIONS : LA RESPONSABILITE DE PLEIN DROIT
1. Les produits de sante
Concernant les produits de santé, la responsabilité du professionnel de santé peut être engagée en dehors de toute faute lorsque le produit est défectueux et a causé un dommage à un patient.
Ce dernier n’a pas à rapporter la preuve d’une faute du professionnel pour obtenir une indemnisation.
Il s’agit en effet ici d’une responsabilité de plein droit.
Article L1142-1 alinéa 1 du Code de la santé publique :
I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.
Il est toujours possible néanmoins pour le professionnel de santé, dont la responsabilité est engagée, de se retourner contre le fabriquant via le mécanisme de l’action récursoire.
2. Les infections nosocomiales
En ce qui concerne les infections nosocomiales, l’établissement de santé dans lequel le patient a contracté celles-ci, engage sa responsabilité de plein droit, qu’il s’agisse d’un établissement public ou privé.
Article L1142-1 alinéa 2 du Code de la santé publique :
Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère.
La responsabilité du praticien quant à elle est engagée uniquement en cas de faute dans le milieu hospitalier privé, lorsque ce dernier n’a pas respecté par exemple les protocoles d’asepsie et d’hygiène.
Aussi, lorsque l’infection nosocomiale survient en milieu hospitalier privé, le patient victime pourra le cas échéant engager tant la responsabilité de l’établissement (du fait de la responsabilité de plein droit) que celle du praticien libéral si ce dernier a également commis une faute.
De fait, dans le cadre de l’indemnisation, il pourra y avoir un partage de responsabilité entre les deux et le praticien pourra contribuer à la réparation de la victime de l’infection nosocomiale selon son pourcentage de participation dans la survenue du dommage.
LA NECESSITE D’UN LIEN DE CAUSALITE ENTRE LA FAUTE ET LE DOMMAGE
Pour engager la responsabilité civile du neurologue (mais également de tout professionnel de santé), trois critères cumulatifs doivent être remplis (hors cas des produits de santé qui obéissent à un régime particulier évoqué ci-dessus) :
I - Une ou plusieurs faute(s) :
- Erreur ou retard de diagnostic.
- Actes non conformes aux données acquises de la science ou aux recommandations de bonnes pratiques médicales.
- Défaut d’information
- etc
II - Un ou plusieurs préjudice(s).
III - Un lien de causalité direct et certain entre la (les) faute(s) et le(s) préjudice(s).
En l’absence de ces trois conditions cumulatives, le neurologue ne pourra pas engager sa responsabilité civile.
En effet, même en cas de faute, si le patient n’a souffert d’aucun dommage en lien avec cette faute, alors il ne pourra obtenir aucune indemnisation.
Cour Administrative d'Appel de Paris, 20 novembre 2018, n° 14PA02525 : le Cas de l’Hydrocéphalie
L'AP-HP qu'en négligeant de faire procéder dans la nuit du 3 février 2001 à un examen céphalique par scanner ou IRM, les équipes médicales du service des urgences de l'hôpital Saint-Antoine ont commis une faute ayant entraîné un retard de diagnostic et donc empêcher un traitement plus précoce de la tumeur cérébrale dont souffrait M.E ; que, toutefois, une faute n'est de nature à engager la responsabilité d'un établissement public hospitalier que si elle présente un lien de causalité direct et certain avec le dommage constaté, fût-il une perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; qu'il résulte du premier rapport d'expertise que les dommages dont souffre M. Esont imputables à la complication survenue au décours de l'opération effectuée à l'hôpital Lariboisière les 6 et 7 février 2001 qualifiée par les experts d'aléa thérapeutique ; que si ces derniers indiquent qu'une prise en charge plus précoce d e l'hydrocéphalie aurait, sans doute, permis l'exérèse de la tumeur dans de meilleures conditions en limitant les variations trop rapides de pression intracrânienne, et que l'exérèse de telles tumeurs avec cette localisation est suivie d'un décès ou d'un handicap majeur dans 20 % des cas, ils soulignent également que, faute de statistiques concernant les cas semblables à celui de M. E(Adéclarée et hydrocéphalie), il n'est pas possible d'évaluer de façon précise la probabilité de survenue d'un hématome sousdural aigu dans l'hypothèse où l'intervention aurait eu lieu trois jours plus tôt et donc chiffrer la perte de chance liée au défaut de prise en charge du patient à l'hôpital Saint-Antoine ; que si les premiers experts estiment que cet examen aurait permis de mettre en place un drainage ventriculaire externe pendant 48 à 72 heures pour s'efforcer de normaliser la pression intracrânienne ainsi que l'ont fait les équipes de l'hôpital Lariboisière à l'arrivée du patient, ils se refusent " à affirmer, pour autant, que cette complication n'aurait pas eu lieu " et à chiffrer dans leur rapport la perte de chance que ce délai de trois jours aurait pu représenter ; que le second rapport d'expertise, présenté devant la Cour, confirme que les séquelles dont souffre M. E sont la conséquence de l'exérèse de la tumeur ayant elle-même entraîné l'hématome sous-dural " complication classique des dérivations et souvent secondaire à un drainage trop rapide de l'hydrocéphalie. ", et " non pas de l'hypertension intracrânienne " et affirme qu'il est peu probable que la prise en charge de la tumeur 3 jours plus tôt ait pu diminuer ce risque " ; qu'ainsi, si les trois médecins experts se sont montrés extrêmement prudents, en s'abstenant d'exclure toute hypothèse d'une perte de chance, leurs conclusions convergent néanmoins vers l'idée qu'il ne peut être tenu pour établi que le retard de diagnostic en cause, trop faible pour que son effet puisse être quantifié, a été à l'origine d'une telle perte ; qu'il y a lieu, dans ces conditions, de considérer que rien ne permet de considérer qu'un diagnostic plus précoce de la tumeur de M. E aurait été de nature à permettre d'obtenir une amélioration de son état de santé ou même d'échapper à son aggravation ;
Il a été constaté un retard de diagnostic de l’hydrocéphalie malgré des symptômes évocateurs tels que des troubles de la marche, une incontinence urinaire, une démence, une augmentation du volume des ventricules cérébraux, et une pression élevée du liquide céphalorachidien.
Le patient a subi des lésions cérébrales irréversibles.
Néanmoins, les Experts en charge de l’analyse du dossier médical ont noté qu'un diagnostic plus précoce n’aurait pas empêché les séquelles subies par le patient.
Aussi, il n’y a pas en l’espèce de lien de causalité direct et certain entre le retard de diagnostic et les séquelles.
Le patient n’a dès lors pas pu obtenir d’indemnisation pour les préjudices subis, faute pour le neurologue d’avoir engagé sa responsabilité.
LE CAS DE L’ALEA THERAPEUTIQUE
Et en cas de dommage mais d’absence de faute, le patient a la possibilité d’obtenir une indemnisation du fait de l’aléa thérapeutique dont il a été victime.
Toutefois, ses séquelles doivent être suffisamment graves et le dommage ne doit pas être la conséquence de l’évolution prévisible de son état de santé du fait de la pathologie prise en charge.
Article L. 1142-1 alinéa 3 du code de la Santé publique :
II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire.
Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret.
II – LES CAS DE JURISPRUDENCE
- L’infection nosocomiale
TA Marseille, du 05-06-2023, n° 2102486 :
(…) 6. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise des docteurs Labauge et Sotto du 14 février 2020 et diligenté par la commission de conciliation et d'indemnisation PACA, que Mme A a été victime d'une infection nosocomiale dans les suites de la ponction lombaire réalisée le 12 juillet 2017 à l'hôpital de la Timone. Il résulte également de l'instruction que cette infection survenue au décours de la prise en charge de l'intéressée par l'AP-HM n'était ni présente, ni en incubation avant ou au début de celle-ci et que l'AP-HM, qui ne conteste pas sa responsabilité, n'établit aucune autre origine ou aucune cause étrangère permettant d'exonérer ou d'amoindrir sa responsabilité.
7. Dans ces conditions, Mme A est fondée à soutenir que l'AP-HM est responsable de l'infection nosocomiale qu'elle a subie au décours de la ponction lombaire réalisée le 12 juillet 2017 à l'hôpital de la Timone.
La responsabilité de plein droit de l’établissement de santé a été engagée à l’occasion de la réalisation d’une ponction lombaire par un neurologue, praticien hospitalier.
Le patient a été victime d’une infection nosocomiale sans qu’un défaut d’asepsie n’ait été reproché au neurologue, celui-ci n’ayant commis aucune faute.
- L’erreur de diagnostic
TA Lyon, du 14-02-2023, n° 2106056 :
7. Il résulte de l'instruction, et notamment des deux expertises réalisées dans le cadre de la procédure de conciliation préalable, que Mme F a été victime le 16 août 2016 successivement d'un accident ischémique transitoire (AIT) précessif vers 4 heures 30 puis d'un accident vasculaire cérébral (AVC) vers 6 heures 05. Elle n'a pas pu être accueillie directement à l'hôpital neurologique, faute de place disponible dans cet établissement au moment de l'appel du centre de régulation des secours. Le délai pris pour son transfert dans cet établissement a été en outre accru du fait d'une erreur de diagnostic du médecin neurologue, qui a considéré que le déficit moteur hémicorporel gauche que présentait Mme F résultaient d'un " AVC du réveil ", sans qu'il soit possible de déterminer de manière précise l'heure de début de l'AVC, alors qu'il résulte de l'instruction que Mme F avait recouvré toutes ses facultés quelques minutes après son réveil, l'hémiplégie gauche ne s'étant déclarée qu'une heure trente plus tard, à 6 heures 05, permettant de déterminer le début de l'AVC de manière précise.
8. Tant l'absence de place disponible vers 6 heures 20 à l'hôpital neurologique des Hospices civils que l'erreur consistant à avoir qualifié d'AVC du réveil l'AVC dont était victime Mme F, ont contribué à la priver de la possibilité de bénéficier d'une thrombolyse de manière plus précoce qu'à 9 heures 55, notamment avant 8 heures 24, horaire auquel le diagnostic d'AVC du réveil a été remis en cause et la patiente orientée en urgence vers l'hôpital neurologique. Ces fautes sont de nature à justifier l'engagement de la responsabilité pour faute des Hospices civils de Lyon, et à ouvrir droit à réparation des préjudices qui y sont directement imputables.
9. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
10. Il résulte des constatations convergentes des deux rapports d'expertise que Mme F présentait lors de sa prise en charge une hypertension artérielle sous traitement, sans autre antécédent. Il résulte également de l'instruction qu'eu égard aux délais nécessaires au transfert de la patiente et à la réalisation d'une thrombolyse, Mme F n'aurait pas pu bénéficier de ce geste moins d'une heure après les premiers signes. Les données statistiques évoquées plus haut montrent qu'une récupération n'est obtenue que dans moins de la moitié des cas y compris ceux pris en charge précocement, et que le taux de récupération est réduit de 0,8 point de pourcentage pour une prise en charge au bout de quatre heures, comme en l'espèce, par rapport à une prise en charge inférieure à trois heures. Au regard de ces éléments, la perte de chance de bénéficier d'une prise en charge plus précoce imputable à l'erreur de diagnostic associée à l'absence de place immédiatement disponible doit être évaluée à 10 %.
Il ressort de ce cas d’espèce qu’un neurologue praticien hospitalier a commis une erreur de diagnostic engageant la responsabilité de l’établissement public de santé.
Ce retard de diagnostic a en effet eu pour effet d’entraîner une perte de chance de 10 % pour le patient de bénéficier d’une prise en charge conforme plus précoce, laquelle aurait alors eu pour effet de réduire ses séquelles.
- Le retard de diagnostic
Tribunal Administratif de Dijon, 12 mai 2023 - RG n° 2101239 : le cas de la Maladie de Horton
5. En l'espèce, il résulte de l'instruction et en particulier du rapport d'expertise du Dr C et de son sapiteur, le Dr E, que Mme K était, à son admission le 12 mars 2018 au service des urgences du centre hospitalier de Clamecy, atteinte de la maladie de Horton, laquelle constitue une " urgence neurologique " dès lors qu'un retard de diagnostic et de traitement adapté par corticoïdes débouche sur un " risque majeur " connu " de troubles visuels de type cécité ". Or, et alors que l'intéressée présentait une symptomatologie évocatrice de cette maladie, à savoir notamment une protéine C réactive (CRP) très élevée et des céphalées intenses bitemporales résistantes aux antalgiques, celle-ci n'a été diagnostiquée qu'à la suite de son transfert au centre hospitalier de Nevers le 22 mars 2018. En outre, en dépit de l'altération de l'acuité visuelle de son oeil droit dès le 18 mars 2018, " il n'y a pas eu d'avis, ne serait-ce que téléphonique, ophtalmologique ". Enfin, il n'est pas sérieusement contesté que ce retard de diagnostic, qui a privé Mme K des soins appropriés jusqu'à son transfert à Nevers, est à l'origine d'une perte de chance d'éviter la perte visuelle bilatérale dont elle demeure atteinte, qu'il y a lieu de fixer à 90%. Il s'ensuit que le manquement lié au défaut de diagnostic imputable au centre hospitalier de Clamecy, au demeurant non contesté dans le cadre de la présente instance, est constitutif d'une faute de nature à engager, dans cette mesure, sa responsabilité.
En l’espèce le Centre Hospitalier a engagé sa responsabilité du fait des fautes commises par le neurologue lors de la prise en charge du patient, à savoir le retard dans le diagnostic et le traitement par corticoïdes de la maladie de Horton.
Ce retard a conduit à un risque majeur de troubles visuels, notamment de cécité, bien connu.
Le patient présentait pourtant des indicateurs cliniques significatifs tels qu'une CRP très élevée, des céphalées intenses bitemporales résistantes aux antalgiques, et une altération de l'acuité visuelle de son œil droit.
Les conséquences de cette négligence ont été graves, entraînant une perte de chance estimée à 90% d’éviter la cécité, aboutissant finalement à une perte visuelle bilatérale.
CAA Paris, 3e, 20-11-2018, n° 14PA02525 : L’hydrocéphalie
Un neurologue a été condamné pour retard de diagnostic de l’hydrocéphalie, celui-ci n’ayant pas posé immédiatement le diagnostic malgré les symptômes évocateurs : troubles de la marche, incontinence urinaire, démence, augmentation de volume des ventricules cérébraux, pression du liquide céphalorachidien.
Les conséquences ont été tragiques, en ce que le patient souffre désormais de lésions cérébrales irréversibles.
- Le défaut d’information
Cour d'appel de ROUEN, 13 janvier 2016 - n° 15/02570 : Le cas du Sifrol
En l’espèce, une patiente souffrait du syndrome des jambes sans repos. C’est ainsi qu’il lui a été prescrit du Sifrol par son neurologue en avril 2008. La patiente est devenue addict aux jeux. Pourtant, des effets indésirables du médicament prescrit, notamment une possible addiction aux jeux, ont été mis en lumière dès 2006 et la notice distribuée avec le médicament le mentionnait dès avant le début du traitement de la patiente. Une note de l'AFSSAPS aux prescripteurs a permis une plus large diffusion en juillet 2009. C’est ainsi qu’il a été reproché au praticien de ne pas avoir délivré une information claire complète et appropriée à sa patiente quant à l’obligation de respecter strictement la posologie et au risque de comportement addictif. Le neurologue a été condamné à indemniser sa patiente compte tenu de la perte de chance de se soustraire au risque de ludopathie. Cependant, compte tenu de la faible posologie prescrite, très en deçà des doses à risque et compte tenu de la présence de la notice d'information dans la boite du médicament accessible à la patiente, et puisqu’elle n’avait pas respecter strictement la posologie, la Cour d'appel a considéré que le préjudice résultant du défaut d'information était minime.
CONCLUSION
Sauf exception, la responsabilité d’un professionnel de santé ne peut être engagée qu’en cas de faute, souvent pour erreur ou retard de diagnostic et moins du fait d’une erreur dans la réalisation d’un acte de prévention, de diagnostic ou de soins.
En sus des cas répertoriés ci-dessus, il existe de nombreux autres types d’erreur ou de retard de diagnostic concernant notamment :
- La maladie d’Alzheimer
- La sclérose en plaque
- La maladie de parkinson
Ces erreurs ou retard de diagnostic ont pour la majorité entraîné chez le patient une perte de chance d’éviter des séquelles plus ou moins graves, lesquelles auraient en effet pu être évitées si la pathologie avait été diagnostiquée et traitée plus précocement.
Du fait de cette perte de chance, le patient est en droit d’obtenir, non pas une indemnisation intégrale de ses préjudices puisque certains d’entre eux sont exclusivement liés à la survenue de la pathologie, une fraction d’indemnisation calculée sur la base du pourcentage de probabilité d’éviter la survenue du risque et ses conséquences, en l’absence de faute.